Faculté Lettres et Sciences Humaines de Sfax 74 681 220
 

La métamorphose de l’électorat FN | HistGeo

La métamorphose de l’électorat FN

9 novembre 2013

Par 

Dans leur dernier livre, Emmanuel Todd et Hervé le Bras, se livrent à une analyse de la métamorphose du vote FN1. Ils rappellent que quand le Front National apparaît sur la scène politique en 1984, la carte du vote FN coïncide avec la carte de l’immigration et de la délinquance. Menacés par des malfaiteurs et des immigrés, les Français auraient voté tout naturellement pour le parti qui leur promettait de se débarrasser de ces deux nuisances? Les deux auteurs remettent en cause cette analyse en soulignant que ces deux phénomènes existaient bien avant 1984, sans y avoir suscité de vote FN.

Le développement du périurbain et l’apparition du FN. Pour eux, l’apparition du vote FN est à relier aux transformations économiques et sociales qui ont touché les régions d’habitat groupé à partir des années 1970. Depuis 1975, avec l’étalement urbain, les Français sont passés à l’automobile et ont progressivement délaissé les petits commerces du coin de la rue au profit des grands centres commerciaux. Ils travaillent et prennent désormais leurs loisirs plus loin de leur domicile. Dans les pays d’habitat groupé, la vie collective a été littéralement vidée de son contenu. La sociabilité et les rapports de voisinage ont été dévastés. Le vote FN s’est contenté d’occuper ce vide par la désignation de bouc-émissaires. « Le vote FN exprime l’angoisse des pays de population groupée : le voisin est devenu un étranger, perçu comme une menace pour la sécurité ; les deux grands thèmes du FN proposent de soigner cette peur du vide en désignant des coupables ».

La diffusion et la stagnation du FN de Le Pen père. Le vote FN s’est répandu à partir de quatre pôles centraux de diffusion, à savoir l’Alsace-Lorraine, la région parisienne, la région lyonnaise et la basse vallée du Rhône, qui s’est déjà étendue à l’ensemble de la côte méditerranéenne. Les idées du FN se sont ensuite diffusées en suivant les principaux axes de circulation. Le vote FN avait un rapport, quoi que pervers, avec l’idéal d’égalité, puisque les Français estimaient que l’assimilation des populations immigrées n’allait pas assez vite. Mais parce que Jean-Marie Le Pen s’est accroché aux thématiques d’immigration et d’insécurité, sans poser les questions économiques et sociales, la progression du FN s’arrêta. La croissance se poursuit lentement, comme en témoignent les élections présidentielles de 1988, 1995 et 20022, mais la géographie électorale du parti se fige. Dans ces conditions, « la qualification de Le Pen au second tour de 2002, perçue comme une avancée majeure par la majorité des commentateurs, représente en réalité une immobilisation ».

Sarkozy relance l’extrême droite. Alors que Le Pen ne représentait plus qu’un obstacle pour la droite, Sarkozy décide de reprendre, en 2007, ses deux arguments sur l’immigration et l’insécurité pour l’écarter. Cette stratégie, qui a permis de récupérer le tiers des voix frontistes, fut payante à court terme mais sortit également le FN de son immobilité. On assiste dès lors à un tournant. Plutôt urbain à l’origine, l’électorat du FN devient rural et périurbain. Dans de telles conditions, « le FN peut devenir « le parti des pauvres, des laissés-pour-compte, un parti qui ne se définit plus seulement comme xénophobe mais comme porteur d’un message social3 ».

Marine le Pen, le nouveau FN et les milieux populaires. Marine le Pen, qui a parfaitementintégré cette dynamique, compte bien exploiter ces nouvelles tendances anticapitalistes, d’où son discours sur le retour de l’État, le protectionnisme et contre l’euro. Dans un discours à Strasbourg, elle fait un virage, en annonçant qu’on ne devait désormais plus différencier les Français selon leur origine. Persuadé que sa rivale venait de commettre une erreur tactique, Sarkozy en profite aussitôt pour lancer son offensive xénophobe, pour lui couper l’herbe sous le pied. « La droite dite républicaine devient alors le fer de lance des thématiques identitaires et sécuritaires ». Si Marine le Pen parvient en 2012 à récupérer la somme des voix de son père et de Mégret en 2002, en réalité la géographie du vote a changé. A l’exception des départements méditerranéens et lorrains, on note des pertes considérables dans les pôles traditionnels du vote FN, au profit d’une progression des départements au nord de la ligne le Havre-Belfort. Les gains sont particulièrement importants dans la France qui était restée jusque-là imperméable au discours du FN, à l’image du Poitou, des Charentes, du Limousin et surtout du Nord-Pas de Calais. Le Front national est devenu le parti des éloignés des grandes métropoles et des relégués vers les zones périurbaines et rurales. Leur attitude est surtout liée à leur position d’exilé de l’intérieur et à leur condition non urbaine.

L’adieu aux immigrés. Si le commentaire médiatique reste focalisé sur les prises de positions des dirigeants du FN, hostiles aux étrangers, son électorat s’est quant à lui détaché de la question de l’immigration. La quasi absence de lien, aujourd’hui, entre vote FN et présence maghrébine, permet aux auteurs d’affirmer que « les progrès du FN dans les milieux populaires l’éloigne des immigrés ». Si l’intérêt pour l’immigration ne concerne plus les milieux populaire, il s’est cependant déplacé vers les classes moyennes, d’où la fixation sur l’islam depuis cinq ans. La montée de l’islamophobie, qui a par ailleurs contribué à la droitisation de l’UMP, traduit une montée de l’anxiété chez les classes moyennes.

Comment le FN évoluera-t-il ? Emmanuel Todd et Hervé le Bras concluent, dans les années à venir à un épuisement du Front national. Cet épuisement serait lié à une contradiction trop forte entre d’un côté le fond culturel inégalitaire, anticommuniste, antisémite et antiarabe de ses dirigeants, et de l’autre le vieux fond révolutionnaire français des classes populaires. « Le FN pourrait donc connaître une chute plus rapide que celle du PCF, dont l’idéologie n’était pas, elle, en complète contradiction avec l’histoire de France ».

 
 
 
 
 
 
 
Aller à la barre d’outils